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Reprofilage de la dette intérieure : soulagement temporaire ou stratégie durable ?

  • Photo du rédacteur: Glenn Scott
    Glenn Scott
  • 11 mai
  • 5 min de lecture



Depuis avril 2025, l'État gabonais a mis en œuvre une opération financière d'envergure appelée "Opération Mouele", visant à reprofiler près de 1 400 milliards FCFA de dette intérieure. Ce terme technique, souvent mal compris, renvoie à un mécanisme de rééchelonnement de la dette, c'est-à-dire revoir les échéances de remboursement pour les étaler dans le temps.

L'objectif ? Éviter une crise de trésorerie, soulager le budget de l'État à court terme, et restaurer la confiance auprès des banques locales et des partenaires internationaux. Mais ce soulagement immédiat n’est pas une solution magique : il faudra transformer ce moment de répit en véritable opportunité de réforme structurelle. Voici les clés pour comprendre ce qui s’est passé, ce que cela change – et ce qu’il reste à faire.



1. Qu'est-ce que le reprofilage de la dette ?


Imaginons que vous deviez rembourser trois emprunts importants dans les six prochains mois. Votre revenu actuel ne vous le permet pas, mais vous ne voulez pas faire défaut. Vous discutez avec vos créanciers pour rallonger le délai, quitte à payer un peu plus tard, et avec des intérêts supplémentaires. C’est exactement ce que l’État a fait.

En avril 2025, la dette intérieure gabonaise était estimée à près de 2 200 milliards FCFA, dont près de 80 % arrivaient à échéance d'ici 2027. Une situation intenable pour la trésorerie publique. L'État a donc renégocié les termes d'une partie de cette dette avec les banques et institutions financières locales.

L’opération Mouele a eu trois volets :

  • 592 milliards FCFA ont été reprofilés : les échéances ont été allongées de 2,3 ans en moyenne à environ 6 ans, avec de nouvelles obligations remboursables entre 2028 et 2034.

  • 473 milliards FCFA de dettes existantes envers les banques ont été converties en obligations formelles négociables, avec une période de grâce de deux ans.

  • 338 milliards FCFA ont été levés sous forme de nouveaux financements à travers le marché régional des titres publics.

C’est donc une triple manœuvre : étaler, restructurer, refinancer.


2. Quels bénéfices immédiats ?

Cette opération a donné de l’air à la trésorerie de l’État. Moins de dettes à rembourser dans l’immédiat signifie plus de moyens pour payer les salaires, relancer des chantiers ou régler des arriérés aux PME. Plus précisément :

  • L'État a gagné 494 milliards FCFA de marge de manœuvre budgétaire immédiate, et économisé 189 milliards FCFA sur les coûts de financement.

  • Les banques locales ont accepté volontairement le deal, car elles ont reçu en échange des titres plus sûrs, garantis en partie par des revenus pétroliers.

  • La Banque centrale (BEAC) a accordé un statut favorable à ces nouveaux titres, qui n'exigent pas de provision réglementaire – un avantage pour les banques.

C’est un peu comme si l’État avait refinancé une partie de sa dette, sécurisé ses créanciers, et évité la crise… pour maintenant.


3. Quels sont les risques à moyen terme ?


Tout n’est pas réglé pour autant. Car si cette dette a été repoussée, elle n’a pas disparu. Les remboursements reprendront progressivement à partir de 2028. Voici les principaux risques à surveiller :


a) Un futur mur de dette

En repoussant les paiements, on pourrait créer un effet "boomerang" si les finances ne s'améliorent pas d'ici là. Le risque est d'accumuler à nouveau des échéances insoutenables, avec les intérêts en plus.


b) Une dette plus chère

Les nouvelles obligations émises portent un taux d’intérêt moyen de 6,5 %. C’est raisonnable, mais non négligeable sur le long terme. Et certaines garanties données aux créanciers (notamment sur des revenus pétroliers) limitent la flexibilité budgétaire future.


c) Le piège de l’inaction

Si l’État considère ce répit comme une victoire définitive, sans enclencher de réformes structurelles, on risque de retomber dans le cycle de l’endettement et des arriérés. Ce n’est pas un blanc-seing. C’est une chance à bien utiliser.



4. Ce que les partenaires attendent


  • FMI

Il souhaite que le Gabon réintègre un programme formel dès 2025, avec une trajectoire claire de réduction du déficit et des réformes budgétaires crédibles.


  • BEAC & COBAC :

Elles ont soutenu le montage, mais attendent discipline et transparence. Des efforts devront être maintenus pour éviter une dérive budgétaire.


  • Banques locales :

Elles veulent être remboursées à temps, éviter de nouveaux arriérés, et voient d’un bon œil une relance économique grâce à une meilleure utilisation des finances publiques.




5. Quelles suites stratégiques envisager ?



Le reprofilage a permis un redémarrage. Pour qu’il produise un impact durable, il doit s’intégrer dans une vision économique structurée, réaliste et disciplinée. Voici les trois leviers à activer intelligemment :


  • Clarifier les priorités budgétaires

Le Gabon doit recentrer ses efforts sur les dépenses stratégiques : investissements à fort effet multiplicateur, paiement des arriérés aux PME, projets d’infrastructures catalytiques. Il ne s’agit pas de couper partout, mais d’arbitrer avec cohérence. Le pays doit montrer qu’il sait investir mieux, pas forcément plus.


  • Organiser la soutenabilité autour d’une logique économique

Il ne s’agit pas seulement de respecter des ratios de dette, mais de construire une trajectoire de soutenabilité dynamique, fondée sur une capacité à créer de la valeur nationale. Cela suppose une coordination forte entre politique fiscale, politique industrielle, et financement du développement. L’investissement public doit répondre à une logique de rentabilité économique nationale (ex : substitution aux importations, transformation locale).


  • Instaurer un cadre d’engagement interinstitutionnel

La réussite post-reprofilage dépendra de la capacité des institutions gabonaises à coordonner leurs actions, à aligner objectifs techniques et ambitions politiques. Il faut une stratégie macroéconomique concertée, associant Ministère du Budget, Trésor, Banque centrale, ministère du Commerce et planification sectorielle. Le tout piloté par une cellule de suivi du reprofilage, avec un tableau de bord et des livrables trimestriels clairs.



6. Reprofilage et souveraineté économique : quelle vision d’ensemble ?


La gestion active de la dette ne peut être qu’un outil au service d’un projet national plus large : celui d’une économie gabonaise qui gagne en indépendance, en compétitivité et en résilience.

Pour cela :

  • Il faut mobiliser davantage l’épargne nationale et régionale dans des véhicules productifs (fonds sectoriels, titres indexés sur la croissance, SPV thématiques).

  • Il est temps d’ancrer la planification fin



    ancière dans une perspective industrielle : chaque levée de fonds, chaque arbitrage budgétaire devrait servir la montée en valeur de l’économie.

  • Et il faut institutionnaliser la culture du résultat, où chaque opération financière est rattachée à un objectif de transformation (emploi, balance commerciale, création d’actifs).


En bref, si l’État gabonais utilise ce reprofilage comme une transition vers un pilotage économique stratégique et rigoureux, alors cette opération ne sera pas un simple soulagement technique, mais un tournant national.

Une bonne opération financière ne remplace pas une bonne gouvernance. Le Gabon devra :

  • Renforcer la transparence sur sa dette (rapports publics réguliers).

  • Éviter les dérives électoralistes à l’approche des échéances politiques.

  • Institutionnaliser une règle budgétaire (plafond de déficit, de dette, etc.).


C’est en montrant l’exemple que le pays regagnera durablement la confiance de ses créanciers, de ses citoyens, et de ses investisseurs.


Conclusion : Reprofilage ou refondation ?


L’Opération Mouele est une manœuvre intelligente et maîtrisée. Le Gabon a prouvé qu’il pouvait négocier habilement avec ses créanciers et mobiliser son secteur bancaire. C’est un bon signal.

Mais l’essentiel reste à faire : transformer ce souffle budgétaire en moteur de relance économique. Cela passe par des réformes, une rigueur assumée, et une vision claire.

Ce n’est qu’à ces conditions que le Gabon pourra dire, dans quelques années, que cette opération n’était pas un simple répit, mais le début d’un vrai redressement durable.


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